Gaz à effet de serre En tenir compte pour nourrir des vaches laitières: du constat à l’action
Et si, pour répondre à un nouvel enjeu environnemental, le tableau de bord de l’éleveur laitier devait maintenant disposer d’un cadran « gaz à effet de serre » à côté des indicateurs de la bonne gestion de l’atelier « lait » ? Peut-on nourrir son troupeau en prenant en compte les gaz à effet de serre ? Comment se fixer un objectif sur ce terrain plutôt éloigné semble-t-il de la gestion courante d’un élevage laitier et quels bénéfices doit-on en attendre ? Quelques éléments de la part du Btpl (bureau technique de promotion laitière) pour bâtir un raisonnement et se préparer à l’action.
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Lorsque vient l’heure d’alimenter le troupeau chaque éleveur porte son attention sur les quantités distribuées et la qualité des ingrédients pour stimuler l’appétit de ses vaches laitières et atteindre les objectifs de production qu’il s’est fixé. C’est l’opération vitale par excellence et qui commande tout un ensemble de tâches et de précautions pour l’éleveur. L’alimentation de son cheptel place l’éleveur à un poste de pilotage avec plusieurs manettes : fertilité du sol, production de fourrages, gestion des stocks, rationnement et suivi global du troupeau, approvisionnements à l’extérieur pour ce qui n’est pas produit sur la ferme… Et si, pour répondre à un nouvel enjeu environnemental, le tableau de bord de l’éleveur laitier devait maintenant disposer d’un cadran « gaz à effet de serre » à côté des indicateurs de la bonne gestion de l’atelier « lait » ?(© Btpl) |
Quand « vache laitière » rime avec « herbivore »
La vache laitière, avec son activité originale d’herbivore, aidée de sa microflore du rumen, ne « produit » pas à proprement parler de « carbone gazeux » mais se contente de transformer une partie de la matière organique qu’elle absorbe en émissions gazeuses contenant du carbone2. Le méthane émis par la vache laitière représente finalement une perte en énergie sous forme gazeuse correspondant à environ 10% de l’énergie brute ingérée et se sont les glucides des parois végétales - les plus « résistants » - qui sont au premier rang des responsables.
La capacité de la vache laitière à transformer en lait et en viande des fourrages peu digestes issus de la photosynthèse a donc sa contrepartie !
Quand un troupeau laitier exploite une prairie par le pâturage ou l’ingestion des fourrages conservés qui en sont issus, il participe au cycle du carbone de façon complexe. Il faut en particulier souligner le fait qu’il prélève de la matière organique sur un « stock » renouvelable et fluctuant de carbone, qui est le résultat de flux entrants et sortants au niveau du sol et dans la végétation (cf. figure 1).
Figure 1 : schéma des flux de gaz à effet de serre (GES) et des principaux flux de matière organique (MO) dans une prairie pâturée (Source : INRA). |
Les analyses s’accordent pour démontrer qu’actuellement les prairies sont des « puits » de carbone, avec d’une part un stockage dans le couvert végétal étroitement lié au cycle de la végétation, et d’autre part un stockage dans le sol3, lié à la pérennité de la prairie.
Quand on observe les flux de dioxyde de carbone au dessus d’une prairie permanente, hormis l’alternance jour-nuit (assimilation le jour et respiration la nuit), le phénomène marquant est la capacité de la prairie à stocker du carbone entre les coupes, avec un temps de latence sans stockage dans les jours qui suivent une fauche.
Plus généralement on estime qu’une prairie permanente conduite de façon modérément intensive s’accompagne d’un stockage de carbone organique compris entre 100 et 500 kg par hectare et par an.
Nourrir des vaches laitières en tenant compte des gaz à effet de serre cela consiste d’abord à adopter des pratiques qui stimulent et rendent durable le stockage du carbone dans les prairies et les sols, faute de pouvoir agir directement sur les émissions de méthane de son troupeau.
Mais les vaches laitières ne se nourrissent pas exclusivement d’herbe et il ne faut pas en rester là ! Déjà si on se penche sur les autres fourrages de la ration il est assez compliqué de savoir si le bilan « gaz à effet de serre » est intéressant et s’il est possible de l’améliorer au prix de quelques efforts... On sait que l’on ne va pas stocker beaucoup de carbone dans le sol avec des fourrages annuels comme le maïs fourrage, aussi productifs soient-ils. Et n’oublions pas que le retournement d’une prairie provoque la « perte » du carbone stocké, qui se retrouve vite dans l’atmosphère.
1 : indépendamment du devenir climatique de la planète sur le long terme, qui pourrait être marqué par bien des fluctuations, l’humanité doit se préparer à une période de réchauffement global dont elle est très vraisemblablement responsable. Les regards se tournent vers les concentrations mondiales de dioxyde de carbone, de méthane et de protoxyde d’azote dans l’atmosphère, dont l’accroissement au cours de l’ère industrielle est sans équivalent depuis plus d’une centaine de siècles. Il est ainsi possible d’affirmer que des changements de pratiques mise en œuvre rapidement et qui aboutiraient à une diminution significative des émissions des principaux gaz à effet de serre peuvent atténuer le processus de changement climatique en cours.
2 : le méthane est une voie d’élimination de l’hydrogène produit dans le rumen lors de la fermentation des glucides.
3 : L’incorporation dans le sol de la biomasse des racines et des résidus des parties aériennes des plantes est toutefois compensée par les émissions de dioxyde de carbone liées à la minéralisation du carbone organique du sol par les micro-organismes.
Le carbone est dans l’auge, mais pas seulement…
Nous l’avons vu, le méthane n’est pas seul en cause quand on s’intéresse aux émissions de gaz à effet de serre de la production laitière : le protoxyde d’azote (N2O) en particulier doit être suivi de très prés quand on s’intéresse à l’alimentation du troupeau car la quantité émise dans l’atmosphère est liée aux pratiques de fertilisation. D’autre part le dioxyde de carbone (CO2) est là quand on utilise de l’énergie fossile et il en faut pour produire des fourrages ainsi que pour apporter le complément de céréales et de correcteur azoté. Et toutes les étapes consommatrices doivent être prises en compte pour ne pas fausser le bilan : l’utilisation des différents intrants demande de l’énergie et leur production, leur acheminement sur l’élevage puis leur mise en œuvre sont accompagnés d’émissions de CO2. C’est bien sûr le cas des aliments du troupeau laitier qui sont achetés à l’extérieur. La part de l’alimentation du troupeau laitier qui n’est pas produite sur l’exploitation a demandé une quantité de carbone qu’on ne retrouve pas dans l’auge !
Quand l’éleveur distribue la ration, c’est l’aboutissement d’opérations internes à l’exploitation et de nombreuses étapes en amont de l’exploitation dont il ne faut pas oublier l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre.
Finalement dans la plupart des cas nourrir son troupeau laitier a pour conséquence de bousculer le bilan « carbone » de l’activité de la ferme en prenant en compte celui des fournisseurs de la ferme (cf. figure 2).
Figure 2 : schéma des flux (émissions et stockages) de gaz à effet de serre à attribuer à l’alimentation du troupeau laitier. |
A partir d’une description du système d’alimentation au sens large, le raisonnement peut se faire en deux temps : estimation du « bilan carbone » dans le détail, incluant toutes les opérations dans et hors de la ferme, puis ensuite identification de la part sur laquelle l’éleveur peut vraiment agir.
Cette part est-elle peu significative ou dominante par rapport à l’ensemble ? Comment peut-elle augmenter ?
En effet, avant de se pencher sur les bonnes pratiques à mettre en place sur l’élevage pour diminuer et/ou compenser les émissions, il faut prendre conscience que l’activité d’élevage proprement dite n’est pas responsable de toutes les émissions et qu’en plus, une partie des émissions de l’élevage est a priori « incompressible » (cf. figure 3).
Cela permet d’envisager d’emblée plusieurs niveaux de réflexion et d’action sans oublier de replacer l’élevage dans sa relation avec ses fournisseurs.
Figure 3 : schéma du raisonnement préalable à la mise en place de pratiques amélioratrices sur l’élevage. |
Comment s’y prendre pour améliorer le bilan « gaz à effet de serre » en production laitière ?
Dans les situations où ce sont les émissions liées à la part de l’alimentation achetée qui pèsent dans le bilan quand on a enlevé les émissions de méthane du troupeau, une amélioration du bilan passe par un retour sur des aspects stratégiques de la conduite de l’élevage : quels aliments sont achetés et pourquoi, d’où viennent-ils, quels sont les pratiques du fournisseur… Il est aussi nécessaire de s’interroger sur les possibilités de substituer aux aliments en question des ingrédients dont le bilan carbone serait plus intéressant.
Parallèlement à certaines remises en question qui vont au-delà des gestes quotidiens, un travail doit être engagé sur l’efficacité énergétique de l’atelier d’une part (cf. article du B.T.P.L. de cette rubrique : L'énergie et les éleveurs laitiers : vers une meilleure efficacité) et une augmentation de la capacité de stockage de carbone d’autre part.
Parmi les pratiques mises en avant pour accroître le stockage du carbone dans le sol, plusieurs semblent compatibles avec la production laitière sous certaines conditions : la conversion de cultures en prairies pour nourrir le troupeau laitier, la plantation de haies et d’une façon générale d’arbres et d’arbustes pour compléter le couvert végétal herbacé avec des végétaux ligneux, comme dans les prés vergers, et de façon plus générale la préservation des agrégats – ces associations stables de matière organique et de minéraux dans le sol - en évitant de perturber les horizons culturaux. Comme tout autre apport de matières organiques au sol l’utilisation des déjections du troupeau laitier est à même de stimuler la séquestration du carbone dans le sol.
Un raisonnement profitable autour du carbone pour être « éco-responsable »
Finalement la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre dans l’alimentation du troupeau laitier va reposer la question de l’efficacité de l’utilisation des différentes ressources dont l’élevage dispose : l’énergie, la ressource végétale et l’alimentation en général, le sol et sa fertilité… Celui qui engage des efforts sur sa ferme ne tardera pas à se tourner aussi vers les partenaires de l’élevage pour rechercher les gains d’efficacité qui sont possibles aussi en amont de l’élevage. Les situations où un maillon de la chaîne voit ses efforts compromis par des pratiques particulièrement coûteuses en carbone à un autre endroit de la chaîne – avant lui comme fournisseur, ou après lui comme transformateur, distributeur ou consommateur – doivent progressivement évoluer vers davantage de cohérence. Les efforts des uns peuvent être très utiles aux autres !
Conscients de leur rôle prépondérant, à la tête des étapes biologiques essentielles qui permettent l’utilisation de la biomasse à des fins alimentaires, les éleveurs peuvent être à l’initiative de démarches d’éco-responsabilité4 impliquant leurs partenaires dans la filière. La réflexion et le travail sur les gaz à effet de serre peut être un déclencheur à cet égard, compte tenu de l’enjeu.
En conclusion, s’il faut rester prudent et modeste quant aux résultats que l’on peut afficher aujourd’hui en matière de « bilan carbone » de l’atelier « lait », il n’en reste pas moins vrai que la voie de la diminution des émissions de gaz à effet de serre est praticable et profitable. Profitable en premier lieu pour celui qui l‘entreprend quand elle aide au renouvellement du raisonnement technico-économique (moins de flux de matières pour un même résultat, meilleure efficacité énergétique, etc.). Elle est aussi bénéfique pour les partenaires économiques de l’élevage qui doivent comptabiliser dans leur propre bilan les entrées et sorties liées à l’utilisation de leur produit (fournisseurs de l’élevage) ou à l’incorporation du lait et des ingrédients du lait dans leur fabrication (aval de la filière).
Le levier de l’alimentation du troupeau prise au sens large peut fonctionner très vite sur des élevages où l’on a les cartes en main, c'est-à-dire où l’éleveur pilote effectivement tous les procédés de production et de distribution de l’alimentation. Dans les autres cas, il faut surtout compter sur les efforts des fournisseurs de l’élevage, et de l’ensemble des circuits d’approvisionnement. Des éleveurs « éco-responsables » peuvent les stimuler.
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